samedi 17 novembre 2012

Célébration

Non, non, non, on ne sort pas son pantalon à paillettes pour se trémousser sous les stroboscopes en baragouinant des let’s celebrate it's all night, we’ve gonna have a good time…Non, non, non, on ne se rut pas non plus sur la boite rouge que je planque dans le tiroir de mon bureau pour me goinfrer de chocolat chaque fois que les collègues sont méchants avec moi.
Un peu de retenue bordel, car l’heure est grave. La bible qui trône en plein centre de l’étagère au dessus de mes toilettes, soigneusement rangée entre Ze-Topo et la biographie illustrée de Pascal Sevran, a perdu son père aujourd’hui. Grimper, surement le bouquin que j’ai le plus feuilleté de mon existence…mes prochains séjours sur le trône n’auront définitivement plus la même consistance.
L’homme qui m’a fait regretter à jamais de n’être né blond, celui à qui je dois toutes ses heures de torture assis les deux pieds joins, avec des poids de 20kg sur chaque genoux jusqu’à ce qu’ils ne touchent le sol. Mon petit doigt se souviendra encore longtemps de toi, de toutes ces vaines tentatives à bloquer d’un bras sur mon échelle de corde. Et toutes ces barres de céréales dont je me suis goinfrées…mes Grany n’auront jamais plus la même saveur.
J’ai croisé Patrick Edlinger à Saint-Egrève dans le eighties…et tant pis si maintenant vous avez une idée précise de mon âge avancé…lors d’une démonstration d’escalade sur la paroi centrale, à l’occasion de la sortie de son livre mythique Grimper. A l’époque, j’avais vu plein d’affiches sur les murs de la ville avec ce nom bizarre. Un nom  que je ne connaissais pas, je pensais d’ailleurs qu’il s’agissait d’une star de la chanson type Frédéric François ou Mireille Matthieu tant le bled de mon enfance était huppé. Mais non, un pote m’avais convaincu de venir avec lui voir ce monsieur qui avait eu la drôle d’idée d’escalader le caillou juste en face de chez moi. Jusqu’alors, jamais je n’avais pensé qu'on pouvait grimper ici.
Et je vis quelque chose que je n’avais jamais vu auparavant. Sa grimpe était bien plus que la grimpe, sa pratique et sa vision de l’escalade étaient bien plus que de l’escalade…certains ne tardèrent pas à parler du « blond », de « dieu ». Moi, je compris comme surement plein d’autres de ma génération, que la grimpe allait maintenant faire partie de ma vie…et d’une bonne grosse partie, bien plus grosse que je n'aurais pu l'imaginer.
La semaine suivante on mutualisait notre argent de poche pour s’acheter tout le matos. Et nous voilà partis essayer toute les voies de StE, en calant autant que possible, une grenouille ou un grand écart à chaque fois qu’on était dans les dalles et un recakage no foot à chaque fois qu’on était dans un surplomb. Puis il y eu ce fameux soir des carnets de l’aventure, et l’on s’est épris nous aussi des sensations intenses et si particulières des solos. …
bref la marque de fabrication de toute une génération de grimpeurs en collant mouleboule et bandana dans les cheveux…ne cherchez plus d’où me vient cette grâce si particulière, ce véritable opéra vertical que j’entame avec la paroi lorsque je grimpe…

Ce matin, personne n’eu le temps de se teindre en blond ni de se laisser pousser les cheveux. Mais toute Lacuvette observa une minute de silence sur la vire de l’extrême gauche d’Espace Comboire. En hommage, même le ciel s’est déchiré pour laisser poindre le soleil.
Et nous voilà partis comme notre mentor dans les bien de circonstance souvenir d’un être cher, 7b pour Sylvie et Jean-Yves,


Pleure fils pour Steph et Sylvie,



dans la grande envolée edlingesque des lueurs de l’aube, 7c en dalle tout en sensation et souplesse pour Bruno et moi,
et dans le clippage no foot dans le surplomb de 24 Décembre 2003, 7b+ pour Ludo et Steph  
La vie au bout des doigts… avais-je écris dans mon cahier texte de lycéen boutonneux de l’époque. 30 ans plus tard, je grimpe encore, j’habite à coté de la plus belle falaise du monde, je m’extirpe quelques heures tous les samedis sans exception et surtout je rêve encore en feuilletant le même bouquin, chaque matin, sur le trône. Tu peux être fier Patrick !
Mais comme me le souffle les enfants : "Mais Papa, Dieu, il ne peut pas mourir"


11 commentaires:

Nico a dit…

A Arbin aussi, on a respecté la minute de silence.

RV a dit…

Comme pour toi et de nombreux grimpeurs des années 80, PE nous a fait rêver et a contribué à notre passion. Je me souviens d'une froide après midi d'hivers à la carrière de Grenoble, où j'avais eu la chance de grimper avec lui. Tous deux arrivés seuls sur le site nous avions grimpé en toute simplicité et avec passion sur nos mauvais blocs Grenoblois. Lui le grimpeur des fabuleux solos du Verdon et de Buoux et moi le petit jeune local inconnu et admiratif. Snif. RV

Anonyme a dit…

superbe article, bravo.
iaki

Anonyme a dit…

Bel et original homage.
Bizzare que le hazard ou l'inconscient nous ai menés vers ces voies aux noms si tristement évocateurs.
Du coups t'a bien fait de passer sous silence nos exploits avec bruno dans "trou de balle": s'aurait été moins dans le ton, mêm si çareste quand même proche du trone...Jy

yves a dit…

A pleurer ton article, je me rappelle très bien de l'affiche qui se trouvait prés de la carrière et de la visite du grand blond à St Egrève. Ca fait ancien combattant tout ça !

Tata LaCuvette a dit…

T'étais pas né Yves, tu peux pas comprendre...

Anonyme a dit…

J'envoie mes meilleurs pensées à cet oiseau rare qui en a inspiré plus d'un (dont mon super papa Bruno)et qui semble avoir compris ce que "liberté" signifie. C'est un bel hommage.
Marie

Unknown a dit…

Bonjour,
mis à part les commentaires, j'aimerai savoir comment te contacter plus directement afin de pouvoir échanger ?

je te laisse mon mail :
perrine@spotylynx.com

Merci pour ton retour !

Anonyme a dit…

Hier matin dans « Le Monde » un journaleux au cerveau malingre nous resservait « le grimpeur à main nue », lapalissade caractéristique de l’ignorant horizontal. Mais comment pouvait-il retranscrire, ce pauvre rampant, la jouissance de voir surgir au début de ces pitoyables années 80, centre de la reconquête par la pensée unique d'une victoire sur ces feignants des années 70 par l’esprit d’entreprise, d’un être loin du monde, agité par l’unique envie de vivre au pied d’inutiles falaises, dans une totale improductivité, une résurgence de la décennie passéé, camion, nature, et tout le toutim.
Nous avons tous été foudroyés par la félinité de son style, nous les pachydermes des gouttes d’eau, les mammouths du mono doigt, les Caterpillars de la réglette intenable.
Nous avons comme d’autres, et pas forcément en coulant du bronze, lu et relu et rerelu, les livres, les mags où il torchait (encore une allusion scatologique) le Miroir du Fou ou Débiloff pieds nus.
Et les films…
Putain de bordel de merde (encore une), je lui aurais bien serré la pogne ce 22 novembre à Grenoble, pour lui dire encore combien il avait pesé sur nos vies.
Après Guyomard et Berhault, un autre juste nous quitte.
Mr Bouilla

Tata LaCuvette a dit…

Ca alors, maintenant y'a même des pseudos hors cercle très fermé des cuvettards qui trainent par ici
Bon, effectivement...ce 22 fut bien loin de ce que j'eusse espéré
Et pour les messages, il y a le forum...où alors les trous à rat de falaises cuvettardes le samedi matin...

Anonyme a dit…

vous hibernez ? ray