dimanche 25 novembre 2012

Adieu Dieu


A croire que le sort s’acharne sur les icones des années 80. Décidement, quel univers impitoyable…Mais je n’irai pas jusqu’à écrire quelques lignes sur JR. Même s’il a marqué quelques malheureux après midis chez mamie, il a eu nettement moins d’influence sur le cours  de mon existence que ce maître à penser que fut Patrick Edlinger.
En début de semaine, je finissais de poser le dernier point d’une énième future bouse dans un trou a rat cuvettard. Une grande et longue dalle. Un nom me vint instantanément « Adieu dieu ».
Ca faisait des semaines que nous avions réservé notre soirée et que nous nous étions préparer à croiser de nouveau Patrick, sur la scène du Summun dans le cadre des rencontres du cinéma de montagne. Les évènements du we dernier allaient forcément chambouler le programme de cette machine bien rodée. Nous comptions participer respectueusement à un grand hommage communautaire. J’ai revu La vie au bout des doigts et Opéra vertical. Moi qui avait arrêté de grimper depuis 6 mois et mis mon matos en vente sur le bon coin …ce fut encore un choc. Comme il y a 30 ans, j’avais les yeux qui brillaient, un frisson me traversait et mes poils se dressaient. Je sentis les ailes me pousser…c’était décidé j’allais me mettre sérieusement à l’escalade
Pour le reste, j’ai été déçu. J’étais aussi venu là pour rêver…Bref, je passerai rapidement sur le piètre hommage rendu, plat et sans émotion. Les commentaires furent fades et trop impersonnels…et la conclusion de la soirée bien maladroite. Même là, Patrick m’a paru bien seul alors qu’il a touché si profondément tant de gens… J’étais triste, pour lui…et aussi pour moi.
En fait, il avait déjà tout compris…à part que le bon vieux synthé Bontampi, c’est pas terrible pour une bande son, et que le survet blanc pour aller courir c’est pas super seyant. Il y a 30 ans, même s’il n’avait pas les moyens de se payer un 3 étoiles à Majorque, il faisait déjà du DWS. A la Piade c’est moins exotique, mais avec calme, sans hurler parce que ça sert à rien d’effrayer les poissons, il faut respecter la nature. Il y a 30 ans, il faisait déjà de la slackline, sauf que comme il n’avait pas google translate, il appelait ça simplement marcher sur une chaine. Comme Oliv, il avait compris que pour grimper il fallait aussi s’entrainer, et que 1000 tractions par jour était bien un minimum. 
« Ce qui est intéressant, c’est l’engagement » et qu’il n’y avait rien d’aussi intense qu’un bon gros plomb comme celui d’opéra vertical …exit les rallonges et autres préclippages. Et pour finir, le saint du saint « trop de gens l’oubli mais le plus important c’est la souplesse du bassin »…et ben oui, Dieu lui-même l’a dit, les lolottes c’est pour les fiottes et les colos c’est pour les blaireaux !
Du coup samedi, remotivé à bloc par le messie, direction la grande dalle lisse de Babylone à St Egrève pour les humbles disciples que nous sommes. Grand écart de rigueur pour Bruno dans le grand voyage esthétique de Beauté sauvage, 7c. Un véritable joyau du genre. 
Souplesse et engagement pour Steph et Jean Yves dans In Shalla, surement un des plus beaux 6c de LaCuvette, oublié de tous sauf de nous, et c’est bien là l’essentiel. 
Technique de pied et adhérences furtives en chaussons montants à bout rond pour un cuisant échec pour les mêmes, dans le redoutable 7a+ du Mur du songe. Et que dire de l’enchainement des deux premières longueurs de Viol du cygne, 6c puis 7a, complexes sur un rocher digne de celui qui fit les belles heures de Patrick…à tel point que Sylvie en resta bouche bée presque 10 minutes, ce qui de source sure ne lui était pas arrivé depuis près de 10 ans !
Bref, un bonheur simple me dis-je, de retour dans mon van sur le parking, nu dans mon duvet, un bon verre d’eau à la main et un bon sandwich dans l’autre. Que demander de plus finalement ?

samedi 17 novembre 2012

Célébration

Non, non, non, on ne sort pas son pantalon à paillettes pour se trémousser sous les stroboscopes en baragouinant des let’s celebrate it's all night, we’ve gonna have a good time…Non, non, non, on ne se rut pas non plus sur la boite rouge que je planque dans le tiroir de mon bureau pour me goinfrer de chocolat chaque fois que les collègues sont méchants avec moi.
Un peu de retenue bordel, car l’heure est grave. La bible qui trône en plein centre de l’étagère au dessus de mes toilettes, soigneusement rangée entre Ze-Topo et la biographie illustrée de Pascal Sevran, a perdu son père aujourd’hui. Grimper, surement le bouquin que j’ai le plus feuilleté de mon existence…mes prochains séjours sur le trône n’auront définitivement plus la même consistance.
L’homme qui m’a fait regretter à jamais de n’être né blond, celui à qui je dois toutes ses heures de torture assis les deux pieds joins, avec des poids de 20kg sur chaque genoux jusqu’à ce qu’ils ne touchent le sol. Mon petit doigt se souviendra encore longtemps de toi, de toutes ces vaines tentatives à bloquer d’un bras sur mon échelle de corde. Et toutes ces barres de céréales dont je me suis goinfrées…mes Grany n’auront jamais plus la même saveur.
J’ai croisé Patrick Edlinger à Saint-Egrève dans le eighties…et tant pis si maintenant vous avez une idée précise de mon âge avancé…lors d’une démonstration d’escalade sur la paroi centrale, à l’occasion de la sortie de son livre mythique Grimper. A l’époque, j’avais vu plein d’affiches sur les murs de la ville avec ce nom bizarre. Un nom  que je ne connaissais pas, je pensais d’ailleurs qu’il s’agissait d’une star de la chanson type Frédéric François ou Mireille Matthieu tant le bled de mon enfance était huppé. Mais non, un pote m’avais convaincu de venir avec lui voir ce monsieur qui avait eu la drôle d’idée d’escalader le caillou juste en face de chez moi. Jusqu’alors, jamais je n’avais pensé qu'on pouvait grimper ici.
Et je vis quelque chose que je n’avais jamais vu auparavant. Sa grimpe était bien plus que la grimpe, sa pratique et sa vision de l’escalade étaient bien plus que de l’escalade…certains ne tardèrent pas à parler du « blond », de « dieu ». Moi, je compris comme surement plein d’autres de ma génération, que la grimpe allait maintenant faire partie de ma vie…et d’une bonne grosse partie, bien plus grosse que je n'aurais pu l'imaginer.
La semaine suivante on mutualisait notre argent de poche pour s’acheter tout le matos. Et nous voilà partis essayer toute les voies de StE, en calant autant que possible, une grenouille ou un grand écart à chaque fois qu’on était dans les dalles et un recakage no foot à chaque fois qu’on était dans un surplomb. Puis il y eu ce fameux soir des carnets de l’aventure, et l’on s’est épris nous aussi des sensations intenses et si particulières des solos. …
bref la marque de fabrication de toute une génération de grimpeurs en collant mouleboule et bandana dans les cheveux…ne cherchez plus d’où me vient cette grâce si particulière, ce véritable opéra vertical que j’entame avec la paroi lorsque je grimpe…

Ce matin, personne n’eu le temps de se teindre en blond ni de se laisser pousser les cheveux. Mais toute Lacuvette observa une minute de silence sur la vire de l’extrême gauche d’Espace Comboire. En hommage, même le ciel s’est déchiré pour laisser poindre le soleil.
Et nous voilà partis comme notre mentor dans les bien de circonstance souvenir d’un être cher, 7b pour Sylvie et Jean-Yves,


Pleure fils pour Steph et Sylvie,



dans la grande envolée edlingesque des lueurs de l’aube, 7c en dalle tout en sensation et souplesse pour Bruno et moi,
et dans le clippage no foot dans le surplomb de 24 Décembre 2003, 7b+ pour Ludo et Steph  
La vie au bout des doigts… avais-je écris dans mon cahier texte de lycéen boutonneux de l’époque. 30 ans plus tard, je grimpe encore, j’habite à coté de la plus belle falaise du monde, je m’extirpe quelques heures tous les samedis sans exception et surtout je rêve encore en feuilletant le même bouquin, chaque matin, sur le trône. Tu peux être fier Patrick !
Mais comme me le souffle les enfants : "Mais Papa, Dieu, il ne peut pas mourir"